Accéder à l’étude ici.

Dans notre quête incessante pour un monde soutenable une question fondamentale émerge avec acuité : comment assurer à chacun une vie décente sans franchir les limites de ce que notre planète peut supporter ? Cette interrogation, plus actuelle que jamais face aux manifestations alarmantes du changement climatique, à la sixième extinction de la biodiversité et aux inégalités criantes d’accès aux ressources, fut longtemps un postulat Aujourd’hui elle trouve un écho particulier dans l’étude pionnière de Hauke Schlesier, Malte Schäfer et Harald Desing. Leur recherche nous présente un aperçu novateur des voies à emprunter pour concilier prospérité humaine et intégrité écologique.

« La soutenabilité n’est pas une destination, mais un chemin de sagesse sur lequel nous progressons« , affirment les auteurs. Cette perspective, inspirée du concept du « Donut » développé par Kate Raworth, nous interpelle : sommes-nous prêts à redéfinir notre conception du progrès ? La théorie des limites planétaires, formulée par Johan Rockström et son équipe du Stockholm Resilience Centre en 2009, nous propose une carte pour naviguer dans cet avenir incertain, marquant les frontières à ne pas dépasser pour préserver les conditions de vie sur Terre.

Face à une population mondiale projetée à atteindre entre 8 et 10,4 milliards d’âmes, l’étude s’attache à décrypter comment satisfaire les besoins essentiels de tous :  nourriture, eau, logement, éducation, santé, et énergie, sans outrepasser ces limites critiques. Les résultats esquissent un chemin vers un avenir où la garantie d’un niveau de vie décent pour tous ne serait pas un vœu pieux, mais une réalité tangible, à condition d’embrasser de profonds changements sociétaux et technologiques.

Comment, dès lors, transformer notre société pour qu’elle opère dans le respect des frontières naturelles de notre planète ? Cette question, qui nous concerne tous, de l’individu au collectif, souligne l’urgence et l’importance de repenser nos modes de vie et de consommation. Un travail que nous menons aussi avec l’économie homéostatique. En explorant les solutions proposées par cette étude, nous nous engageons dans la continuité d’un dialogue essentiel sur notre avenir commun, posant des nouvelles pierres pour un monde où vivre dignement ne se ferait pas au détriment de notre environnement, ni des autres. 

Comprendre les enjeux :

Les limites planétaires : un cadre pour la soutenabilité

La théorie des limites planétaires, conceptualisée en 2009 par Johan Rockström et son équipe du Stockholm Resilience Centre, pose les fondations d’une approche globale de la soutenabilité environnementale. Ce cadre scientifique identifie neuf processus systémiques terrestres dont les limites ne doivent pas être dépassées afin d’éviter des perturbations écologiques irréversibles. De la biodiversité à l’utilisation de l’eau douce, en passant par les cycles du phosphore et de l’azote, ces seuils constituent une boussole pour naviguer vers une planète où les conditions d’habitabilité pour nous même, les générations futures et les autres espèces non humaines sont suffisantes. 

Une vie décente pour tous : le concept du Donut et les besoins fondamentaux

Avant de plonger dans l’exploration des besoins fondamentaux, introduisons le concept du « Donut » développé par Kate Raworth. Cette approche vise à équilibrer la satisfaction des besoins humains fondamentaux (l’espace social du Donut) avec la nécessité de rester dans les limites planétaires (l’espace écologique du Donut), représentant ainsi un modèle de développement durable et équitable. C’est dans ce cadre que l’étude évalue la possibilité de fournir des niveaux de vie décents, incluant accès à l’alimentation, à l’eau potable, au logement, à l’éducation, aux soins de santé, et à l’énergie durable, pour tous, en prenant en compte la population mondiale croissante, sans pour autant transgresser les limites écologiques critiques de notre planète.

Méthodologie détaillée de l’étude

Cette étude applique une approche méthodologique innovante pour examiner si un équilibre est réalisable entre les besoins humains fondamentaux et la préservation des limites écologiques de notre planète. Cette approche repose sur plusieurs piliers clés, dont l’analyse du cycle de vie (ACV), la modélisation spécifique des besoins, et la définition de concepts clés tels que les DLS (Decent Living Standards) ou (Niveaux de Vie Décents) et le SJOS (Safe and Just Operating Space) ou (Espace d’Opération Sûr et Juste).

Analyse du Cycle de Vie (ACV)

L’ACV est une technique standardisée (ISO 14040 et 14044) utilisée pour évaluer les impacts environnementaux associés à tous les stades de vie d’un produit, d’un service ou d’un processus, de l’extraction des matières premières jusqu’à sa fin de vie (extraction, production, utilisation, et élimination). Dans cette étude, l’ACV aide à mesurer les impacts écologiques de la satisfaction des DLS, bien que l’empreinte matérielle et les stocks de matière ne soient pas explicitement analysés, laissant une opportunité pour une exploration future plus complète des impacts environnementaux.

Modélisation des besoins

Les auteurs utilisent une modélisation spécifique pour évaluer comment les besoins fondamentaux de l’humanité peuvent être satisfaits à travers différents scénarios démographiques et technologiques. Bien que l’étude ne détaille pas toutes les méthodologies alternatives, la sélection de cette approche semble être motivée par son potentiel à intégrer directement les besoins humains avec les capacités de la planète, alignant ainsi l’analyse avec les objectifs du « Donut » économique.

Decent Living Standards (DLS)

Les DLS représentent un ensemble de besoins fondamentaux jugés essentiels pour mener une vie décente. Ils ont été identifiés en s’appuyant sur diverses sources académiques et rapports internationaux, couvrant la nutrition, le logement, l’éducation, la santé, et l’énergie. Les niveaux suffisants de ces besoins ont été déterminés en considérant les recommandations existantes et les seuils de bien-être.

Safe and Just Operating Space (SJOS)

Inspiré par le concept du « Donut » de Kate Raworth et la théorie des limites planétaires de Johan Rockström, le SJOS est une tentative de définir un espace dans lequel l’humanité peut prospérer sans dépasser les capacités écologiques de la Terre. Les origines de ces concepts résident dans la reconnaissance de la nécessité de balancer les besoins sociaux avec les contraintes environnementales.

Scénarios technologiques

Pour les scénarios technologiques, l’étude envisage des niveaux de quantité énergétique nécessaires pour soutenir les DLS dans différents contextes démographiques. Ces scénarios sont comparés aux niveaux actuels de consommation énergétique pour évaluer leur viabilité et leur durabilité. La précision des besoins énergétiques renforce l’analyse en offrant une perspective sur l’ampleur du changement nécessaire par rapport à notre situation actuelle.

En résumé, bien que la méthodologie de l’étude offre une analyse précieuse et une nouvelle perspective sur la possibilité de réaliser un développement durable global, elle révèle également des domaines où des recherches supplémentaires sont nécessaires, notamment l’intégration des empreintes matérielles, l’exploration des dynamiques sociales et politiques, et la personnalisation des solutions pour différents contextes locaux.

Les Découvertes clés : vers la soutenabilité

L’étude révèle qu’il est possible d’atteindre un niveau de vie décent pour tous avec une confiance d’au moins 73 % en utilisant les technologies actuelles et dans les scénarios de population prévus. Cependant, cela nécessiterait des changements profonds dans nos modes de vie et nos systèmes énergétiques :

Changements alimentaires et consommation minimale :

Pour fournir un niveau de vie décent à 10,4 milliards de personnes tout en respectant les onze limites planétaires traduites (PBs), des changements alimentaires de grande envergure, une consommation minimale et des systèmes énergétiques entièrement décarbonés sont requis. Ces mesures sont réalisables avec les technologies disponibles actuellement, mais l’étude n’a pas trouvé de marge pour le luxe écologique.

– – Pratiques alimentaires

L’étude souligne la nécessité de passer à un régime alimentaire essentiellement végétalien pour fournir un niveau de vie décent à une population croissante tout en restant dans les limites écologiques de notre planète. Ce changement profond dans nos habitudes alimentaires est identifié comme une des mesures cruciales pour réduire significativement les impacts environnementaux, notamment en matière d’émissions de gaz à effet de serre, d’utilisation des sols et de perte de biodiversité​.

– – Consommation minimale

Le modèle repose sur une consommation dite de « suffisance », c’est-à-dire une consommation minimale nécessaire pour satisfaire les besoins de base sans excès. Cela implique une réduction significative de la consommation de ressources et de l’empreinte environnementale par habitant. Cette approche vise à assurer que les besoins fondamentaux de tous peuvent être satisfaits sans dépasser les limites planétaires​.

Systèmes énergétiques

Pour atteindre un niveau de vie décent dans le respect des limites planétaires, une transformation complète des systèmes énergétiques est nécessaire. L’étude préconise une transition vers des systèmes énergétiques entièrement sans fossiles, remplaçant ainsi tous les intrants énergétiques fossiles par des sources d’énergie renouvelables. Cette décarbonation complète du secteur énergétique est jugée nécessaire mais pas suffisante en soi pour respecter les limites écologiques, soulignant l’importance d’adopter des pratiques agricoles durables et d’augmenter la circularité des systèmes matériels.


  • Limites principales et nécessité de la décarbonation : L’espace d’opération sûr et juste (SJOS) est principalement limité par les contraintes de CO2, suivi par la perte de biodiversité et les flux biogéochimiques. La décarbonation complète de l’économie est donc nécessaire, mais elle n’est pas suffisante pour entrer dans le « Donut » et faire valoir une soutenabilité écologique.
  • Futurs Axes de recherche : La recherche future pourrait se concentrer sur l’amélioration des pratiques agricoles (comme l’agriculture biologique, la permaculture, et une meilleure gestion des terres), car cela représente le plus grand potentiel de réduction des impacts liés aux DLS. Une autre voie d’amélioration serait d’augmenter la circularité des systèmes matériels.

L’étude souligne également que les systèmes de fourniture, les besoins en DLS, les impacts environnementaux et les limites du système terrestre varient en fonction des conditions locales, ce qui n’a pas été inclus dans cette étude. Les recherches futures devront aborder ces différences régionales pour augmenter la pertinence des découvertes pour la gouvernance locale. Ces améliorations pourraient démontrer si un espace d’opération sûr et juste au-delà de la satisfaction des DLS est potentiellement réalisable.

Réinventer nos systèmes de production et de consommation

Économie circulaire et efficacité énergétique

L’étude met en avant l’importance cruciale de l’économie circulaire et de l’efficacité énergétique pour réduire notre impact environnemental. Cela implique une transition vers des modes de production qui minimisent les déchets et maximisent la réutilisation et le recyclage des matériaux. L’efficacité énergétique est également soulignée comme un levier essentiel pour réduire la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre associées.

Action collective et politiques innovantes :

La transformation requise dépasse les actions individuelles et nécessite une mobilisation collective à tous les niveaux de la société. Les décideurs politiques sont invités à élaborer et à mettre en œuvre des politiques innovantes qui facilitent ces transformations. Les industries et les entreprises doivent explorer et adopter des modèles d’affaires plus durables qui intègrent l’économie circulaire et l’efficacité énergétique. Les chercheurs et les institutions éducatives sont encouragés à continuer à explorer des solutions techniques et sociales pour une transition réussie. Enfin, chaque individu a un rôle à jouer en repensant ses propres choix de consommation et en adoptant des modes de vie plus soutenables.



Actions

Ce papier n’est pas qu’un simple exercice académique ; il représente un véritable appel à l’action. Les auteurs démontrent de manière convaincante qu’il est techniquement possible, avec les technologies existantes et pour des scénarios de population attendus, de garantir un niveau de vie décent pour tous tout en respectant les limites écologiques de notre planète. Toutefois, pour y parvenir, des transformations profondes et à grande échelle de nos systèmes de production et de consommation sont indispensables.

Un futur à construire ensemble

L’étude conclut que l’humanité n’assure actuellement ni un niveau de vie décent pour tous ni la préservation des moyens de subsistance écologiques pour les générations futures. 

Dans notre quête pour un avenir où prospérité humaine et préservation de notre planète peuvent coexister, une question rhétorique émerge avec force : comment continuer à prôner une croissance économique infinie comme dogme fanatique de notre société, lorsque les limites écologiques de notre planète nous appellent à repenser radicalement notre rapport à la consommation et à la production ? Les chercheurs tout en ne prenant pas position sur ce débat économique, nous montre par son analyse que la conciliation entre une vie décente pour tous et le respect des limites planétaires est possible, mais elle nécessite des changements profonds et immédiats dans nos modes de vie et nos systèmes économiques.

Participer au dialogue

L’étude ouvre la voie à un dialogue essentiel sur les moyens d’atteindre un futur soutenable où une vie décente pour tous peut être garantie dans le respect des limites écologiques de notre planète. Pour y parvenir, une exploration plus approfondie des voies permettant d’intégrer les dimensions sociales et politiques dans la modélisation future est indispensable. Cela pourrait inclure l’élaboration de scénarios prenant en compte les changements dans les comportements de production et de consommation, les politiques d’équité sociale et les stratégies pour augmenter l’acceptabilité des transformations nécessaires.

Les auteurs de l’étude soulignent que la transition vers un « espace d’opération sûr et juste » (SJOS) est gouvernée par une multitude de facteurs, y compris mais sans s’y limiter, la collaboration géopolitique, l’acceptation sociale, ainsi que les contraintes énergétiques et matérielles des transitions. Ces éléments peuvent potentiellement poser des contraintes à la réalisation du « Donut ». Investiguer les transitions vers cet état, en utilisant l’approche des « decent living standards » (DLS), n’était pas dans le champ de cette étude, mais représente un domaine de recherche futur prometteur. 

La réflexion critique sur les indicateurs de progrès, allant au-delà des mesures technologiques et écologiques pour inclure des indicateurs de bien-être social et de justice, enrichira le débat sur le développement durable. Identifier les satisfacteurs universels pour les besoins non directement liés aux intrants physiques est une tâche future pour les ingénieurs, les anthropologues, les scientifiques sociaux et les psychologues. Cela met en lumière la nécessité de modèles plus sophistiqués capables de capturer la complexité des besoins humains et des interactions environnementales.

Dans le prolongement du dialogue essentiel ouvert par cette étude sur la transition vers un avenir soutenable où un niveau de vie décent est accessible à tous dans les limites de notre planète, l’approche de l’économie homéostatique mérite une attention particulière. Les recherches entreprises par l’ONG Ex Naturae s’engagent profondément dans l’analyse du cadre macroéconomique propice à faire émerger cette transition essentielle. Nous nous consacrons à préciser un système monétaire qui, tant sur le plan individuel que collectif, faciliterait les concessions auxquelles chaque personne est prête, ainsi qu’à évaluer la mesure dans laquelle il est possible de satisfaire les besoins fondamentaux tout en respectant les impératifs écologiques.

Notre démarche vise à enrichir la discussion sur les moyens d’intégrer efficacement les dimensions économiques, sociales et politiques dans les modélisations futures. Cela englobe l’élaboration de modélisations qui considèrent les évolutions dans les comportements de production et de consommation,  l’implémentation de politiques favorisant la soutenabilité écologique, et la mise en place de stratégies destinées à renforcer l’acceptabilité des changements nécessaires. Nous nous alignons sur l’importance de critiquer et d’élargir les indicateurs de progrès pour englober des mesures de bien-être social et de justice, allant ainsi au-delà des simples paramètres technologiques et écologiques.

Nous reconnaissons que la transition vers un « espace d’opération sûr et juste » (SJOS) s’avère complexe, influencée par une multitude de facteurs incluant la coopération géopolitique, l’acceptation sociale, et les limites matérielles et énergétiques inhérentes aux transitions. Cet état de fait souligne la nécessité d’une approche multidisciplinaire pour l’investigation des transitions vers cet état désirable. Face au modèle économique actuel où les gains des uns sont au détriment des autres, la coopération et les co-responsabilités sont facilitées par l’économie homéostatique.

Ex Naturae invite donc la communauté académique, les décideurs politiques, les praticiens et le grand public à rejoindre nos efforts pour contribuer activement à ce dialogue crucial. Ensemble, nous pouvons explorer et développer des modèles sophistiqués capables de saisir la complexité des interactions entre les besoins humains et les impératifs environnementaux, ouvrant ainsi la voie à des solutions innovantes pour un avenir soutenable.


Conclusion

En conclusion, l’étude de Schlesier, Schäfer, et Desing donne un aperçu précieux des possibilités et des défis liés à la réalisation d’un espace d’opération sûr et juste pour l’humanité. Elle invite à une action collective pour approfondir la recherche sur les pratiques agricoles durables et l’augmentation de la circularité des systèmes de matériaux afin de rendre cette vision réalisable​. Cette étude précise enfin, un scénario pour que la population mondiale et les générations futures puissent vivre de manière décente sans franchir les limites de ce que notre planète peut supporter. Il reste encore des recherches à mener et des trajectoires à définir. Construisons-les ensemble. 

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