La soutenabilité de l’accumulation du capital et de ses régimes – Une approche macroéconomique en termes de soutenabilité forte.

Approche macroéconomique et soutenabilité forte

Dans un monde confronté à des défis écologiques sans précédent, la nécessité de démêler les intrications entre écologie et économie est devenue urgente. Cette quête de compréhension nous amène à une thèse capitale, celle de Louison Cahen Fourot, intitulée : La soutenabilité de l’accumulation du capital et de ses régimes Une approche macroéconomique en termes de soutenabilité forte, soutenue en 2017, qui se penche sur les dynamiques structurelles et institutionnelles du capitalisme dans le contexte de la crise écologique. L’objectif de Cahen Fourot était de tracer les contours d’une analyse écologique intégrée à la compréhension macroéconomique du capitalisme, soulignant comment les politiques écologiques sont façonnées par les intérêts productifs et nationaux, dans un cadre marqué par des rapports sociaux spécifiques.

Cet article s’inspire profondément de la thèse de Cahen Fourot pour plusieurs raisons. Premièrement, elle illustre la nécessité d’adopter une approche polymathique en économie, semblable à l’utilisation d’un couteau suisse intellectuel, qui intègre les diverses écoles de pensée économique pour une analyse plus riche et nuancée. Cette approche permet d’embrasser la complexité des défis écologiques au-delà des frontières disciplinaires traditionnelles, offrant une perspective plus holistique et intégrée. Deuxièmement, la thèse jette un pont crucial entre l’économie et les rapports sociaux, permettant une compréhension plus profonde de comment une proposition macroéconomique pourrait induire l’émergence de nouveaux rapports sociaux entre les travailleurs, les détenteurs de capitaux, et l’État. Cette dimension sociale enrichit l’analyse économique homéostatique, en y intégrant les dynamiques de pouvoir et d’intérêt qui façonnent les réponses à la crise écologique.

Loin d’être de simples conséquences d’une évolution naturelle ou d’erreurs de gestion ponctuelles, les problèmes écologiques d’aujourd’hui sont profondément ancrés dans la structure et l’institution du capitalisme. À travers cet article, nous explorerons comment l’analyse écologique, ancrée dans une compréhension macroéconomique enrichie par la thèse de Cahen Fourot, révèle les mécanismes sous-jacents affectant la soutenabilité environnementale. Nous examinerons des concepts tels que la soutenabilité, les régimes d’accumulation du capital, et la critique des interprétations simplistes des crises écologiques, tout en mettant en lumière les liens entre les sciences et les différentes écoles de pensée économique.

La soutenabilité : faible et forte

La notion de soutenabilité, centrale dans les discussions sur l’écologie et l’économie, se divise en deux approches distinctes : la soutenabilité faible et la soutenabilité forte.

La soutenabilité faible suggère que le capital humain et naturel sont largement substituables, et que les dégradations environnementales peuvent être compensées par l’innovation et le progrès technologique. Des exemples de cette approche incluent les « hommes abeilles » en Asie qui remplacent les abeilles disparues pour la pollinisation, ou le déplacement de ruches aux États-Unis pour répondre aux besoins de pollinisation des cultures. Ces cas illustrent une tentative de substituer les fonctions écologiques naturelles par des solutions humaines, sous-entendant une certaine maîtrise et remplaçabilité de la nature par l’humain.

À l’opposé, la soutenabilité forte reconnaît que de nombreux aspects de la nature ne sont pas substituables, principalement en raison de la complexité et de l’interconnexion des écosystèmes dont notre compréhension reste limitée. Cette approche souligne l’importance de préserver les fonctions écologiques naturelles et insiste sur le fait que la nature, dans sa complexité, ne peut pas être simplement remplacée ou réparée par des interventions humaines.

Le capitalisme et les défis de la soutenabilité

Le capitalisme, avec sa recherche constante de croissance et de maximisation des profits, se heurte souvent aux principes de la soutenabilité forte. Cette tension est exacerbée par le fait que le capitalisme tend à favoriser les approches de soutenabilité faible, qui s’alignent plus facilement sur des solutions technologiques et économiques sans remettre en question les fondements du système lui-même. Cependant, cette préférence pour la soutenabilité faible néglige les interconnexions complexes et souvent fragiles des systèmes naturels, ainsi que les limites biophysiques de notre planète.

Capitalisme : une analyse critique de la soutenabilité

La critique du capitalisme sous l’angle de la soutenabilité met en lumière le défi fondamental de réconcilier les impératifs économiques avec les nécessités écologiques. Bien que le capitalisme puisse stimuler l’innovation qui contribue à des solutions environnementales, ces initiatives restent souvent confinées dans un cadre qui ne remet pas en cause la logique de consommation et d’exploitation. En d’autres termes, sans une réévaluation profonde des valeurs et des objectifs au cœur du capitalisme, les efforts pour une véritable soutenabilité risquent de rester superficiels.

Les limites du capitalisme face à la soutenabilité

Face à la soutenabilité forte, le capitalisme rencontre des limites intrinsèques dues à ses mécanismes de fonctionnement. La non-substituabilité de nombreux services écosystémiques défie directement la logique capitaliste de croissance indéfinie et de substitution. Pour naviguer vers une soutenabilité forte, il est impératif de repenser les modes de production, de consommation, et même les indicateurs de succès économique, en intégrant pleinement les coûts environnementaux et en valorisant la conservation et la résilience écologique.

Vers une réflexion sur les régimes d’accumulation du capital

La transition vers des régimes d’accumulation du capital qui respectent les principes de la soutenabilité forte nécessite une analyse critique et une réévaluation des modèles économiques prévalents. Les régimes tels que le fordisme et le néolibéralisme, avec leur emphase sur la production de masse et la globalisation, doivent être examinés à travers le prisme de leur impact environnemental. Cette réflexion ouvre la voie à la prochaine section, où nous explorerons en détail comment les régimes d’accumulation du capital, historiquement configurés autour de la croissance et de l’efficacité, peuvent être réorientés ou transformés pour favoriser une économie qui intègre les valeurs de la soutenabilité forte, marquant ainsi un pas vers la résolution des tensions entre économie et écologie.

Régimes d’accumulation du capital : fordisme et néolibéralisme

Fordisme : caractéristiques et consommation d’énergie

Le fordisme, nommé d’après Henry Ford, se caractérise par la production de masse et l’automatisation, dominant la première moitié du 20e siècle. Ses traits distinctifs incluent :

  • Production de masse : Utilisation de chaînes de montage pour standardiser les produits, permettant une production à grande échelle, réduisant les coûts et augmentant l’accessibilité des biens de consommation.
  • Salaire élevé : Attribution de salaires suffisants aux travailleurs pour qu’ils puissent acheter les produits qu’ils fabriquent, stimulant ainsi la demande intérieure.
  • Consommation d’énergie intensive : Le modèle fordien repose sur une utilisation massive des combustibles fossiles pour alimenter les usines et satisfaire la demande croissante en énergie des ménages et du secteur des transports, engendrant une croissance économique rapide mais aussi une augmentation significative de la consommation d’énergie et des émissions de CO2.

Néolibéralisme : globalisation et impact écologique

Le néolibéralisme, émergeant dans les années 1970 et 1980, est fondé sur :

Ces principes ont favorisé des avancées technologiques et une certaine efficience énergétique, mais ont également exacerbé les problèmes écologiques, notamment par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et la pression sur les ressources naturelles.

Accumulation du capital vert

En réponse aux défis écologiques, l’évolution vers une « accumulation du capital vert » cherche à intégrer des pratiques soutenables dans le capitalisme, à travers :

  • Innovations technologiques : Développement et adoption de technologies propres et d’énergies renouvelables.
  • Marchés du carbone : Mise en place de systèmes d’échange de droits d’émission pour encourager la réduction des émissions de CO2.

Toutefois, cette transition vers la soutenabilité soulève des interrogations sur la capacité du capitalisme à s’aligner pleinement sur les exigences d’une approche soutenable à long terme, compte tenu des limites écologiques et de la préservation nécessaire de la biodiversité. (Il est à noter que cette thèse passe sous silence un aspect important de la relation entre économie et carbone : les marchés de droits à polluer et la financiarisation du CO2. C’est un choix délibéré de l’auteur. Selon lui, il s’agit d’une problématique essentielle qui signale notamment l’avènement d’un capitalisme vert qui fait de la crise écologique une nouvelle sphère d’accumulation du capital(Keucheyan, 2017)

Impact écologique et politique

Néolibéralisme et délocalisation de l’appareil productif

Le néolibéralisme a transformé l’appareil productif, en particulier pour les pays développés, par la délocalisation, transférant la production industrielle vers des régions offrant une main-d’œuvre bon marché et des normes environnementales moins strictes. Cette externalisation a :

  • Augmenté la pollution et l’exploitation des ressources : Les pays en développement, devenant des centres de production mondiaux, ont vu une hausse de la pollution et de l’exploitation des ressources. il s’agit de l’externalisation de la pollution dans les pays en développement

Uniformisé les normes environnementales : La standardisation globale des pratiques écologiques au niveau le plus bas, compromettant les efforts de conservation et de gestion durable. Ceci est accentué à l’instar de l’optimisation des cout de production par une main d’oeuvre bon marché, par une concurrence sur les réglementations environnementales.

Façonnement des politiques et pratiques écologiques

Les régimes d’accumulation ont profondément influencé les politiques et pratiques écologiques :

  • Sous le fordisme :Du fait de pollution localisée, il émérge des politiques environnementales centrées sur la gestion des polluants et la protection des ressources, souvent subordonnées aux objectifs de croissance.
  • Dans le néolibéralisme : Priorisation des solutions de marché pour les enjeux écologiques, telles que le commerce des droits d’émission, sans remettre en cause le modèle de consommation.

Vers une critique des crises écologiques comme évolution naturelle

La transition du fordisme au néolibéralisme illustre comment les crises écologiques sont intrinsèquement liées aux modes de production capitalistes et à l’exploitation des ressources, remettant en question l’idée que ces crises résultent uniquement d’évolutions naturelles. Les exemples historiques, tels que l’île de Pâques et l’industrie du coton, démontrent la nécessité d’une remise en question des fondements du capitalisme pour favoriser une véritable soutenabilité écologique.

La compréhension dominante des crises écologiques, souvent présentée comme le résultat d’une évolution naturelle de l’utilisation des diverses sources d’énergie et conceptualisée à travers la vision de l’Anthropocène, se trouve profondément remise en question dans l’analyse de Louison Cahen-Fourot. Loin d’être une suite inévitable d’événements naturels, l’évolution des crises écologiques est avant tout le fruit des tensions inhérentes aux rapports sociaux spécifiques du capitalisme​.

La mythologie d’une évolution naturelle

Le récit dominant autour de l’Anthropocène et des métaphores telles que celle de l’île de Pâques, ainsi que l’analyse ricardienne-malthusienne de la transition énergétique du charbon au pétrole, tendent à naturaliser l’histoire des interactions humaines avec l’environnement. Cette vision occulte le rôle central que jouent les structures socioéconomiques, en particulier celles du capitalisme, dans l’escalade des crises écologiques. La disparition des habitants de l’île de Pâques n’est donc pas simplement le résultat d’une séquence écocide auto-infligée, mais doit être contextualisée dans un cadre plus large de dynamiques socioéconomiques​

La mythologie de l’Île de Pâques et le rôle des rats

L’exemple de l’île de Pâques sert souvent d’avertissement sur les dangers de l’exploitation excessive des ressources naturelles. Cependant, cette histoire est complexifiée par des facteurs souvent omis, tels que les impacts du colonialisme, des maladies apportées par les Européens, et des structures sociales et économiques imposées par les colonisateurs. Mais aussi, l’introduction des rats par les premiers habitants. Ces rongeurs ont joué un rôle significatif dans la destruction de l’écosystème de l’île, notamment en consommant les graines des palmiers, empêchant la régénération de la forêt et contribuant ainsi à la dégradation environnementale. Cette dimension ajoute une couche de complexité à la narration, montrant comment les interactions entre les espèces introduites et les écosystèmes locaux, exacerbées par les pratiques humaines, peuvent accélérer la détérioration environnementale.

Cette perspective révèle l’importance de considérer les effets inattendus des actions humaines sur l’environnement, dépassant une simple dichotomie entre gestion responsable et exploitation irresponsable. Le cas de l’île de Pâques montre que les crises écologiques résultent souvent d’une combinaison de facteurs, incluant les interactions écologiques complexes et les impacts des introductions d’espèces par l’homme, plutôt que de la surutilisation des ressources par une population isolée.

Rapports sociaux du capitalisme

La thèse souligne que les transitions énergétiques, loin d’être des phénomènes anhistoriques, s’inscrivent dans le cadre des rapports marchands et salariaux spécifiques au capitalisme. Ces rapports sociaux, invariants au sein du système capitaliste, sont au cœur de la tendance structurelle à la destruction environnementale. Les économistes écologiques, en négligeant ces rapports sociaux, se trouvent selon Cahen-Fourot mal équipés pour offrir une analyse complète des relations entre économie et nature​.

L’industrie du coton et le passage du moulin à eau au charbon

L’évolution de l’industrie du coton, en particulier le passage de l’utilisation de l’eau à celle du charbon comme source d’énergie principale, illustre comment les revendications des travailleurs et les tensions sociales ont façonné les choix technologiques et énergétiques. Au cœur de la révolution industrielle, l’industrie du coton a été un moteur clé du développement économique. Initialement, les moulins à eau étaient la principale source d’énergie pour le traitement du coton, mais avec l’augmentation des revendications des travailleurs pour de meilleures conditions et une rémunération plus juste, couplées à la recherche d’une productivité accrue, l’industrie s’est tournée vers le charbon. Cette transition n’était pas simplement une évolution technologique mais était étroitement liée aux dynamiques de pouvoir et aux conflits de classe dans le capitalisme. Le charbon offrait une source d’énergie plus flexible et puissante, permettant une expansion massive de la production et une centralisation des usines dans des zones urbaines, où la main-d’œuvre était abondante et bon marché, facilitant ainsi, l’expansion industrielle et la concentration de la production. 

Du charbon au pétrole 

La transition du charbon au pétrole, survenue au milieu du 20e siècle, marque un tournant décisif dans l’histoire de l’économie fossile. Là encore, cette mutation n’est pas seulement le résultat d’évolutions technologiques ou de la découverte de nouvelles réserves d’énergie, mais elle est profondément ancrée dans les changements socio-économiques et politiques propres au capitalisme. Le pétrole a permis une expansion inédite des normes de consommation de masse, symbolisée notamment par la démocratisation de la voiture individuelle. Ce phénomène a d’abord pris racine en Occident avant de s’étendre progressivement aux pays périphériques du capitalisme, favorisant l’émergence de nouvelles classes moyennes. Ces transitions énergétiques trouvent leurs origines dans les dynamiques des rapports sociaux caractéristiques du capitalisme, reflétant la complexité et les implications politiques sous-jacentes aux choix énergétiques​

Le passage du charbon au pétrole illustre ainsi l’approfondissement de l’économie fossile et met en lumière la manière dont les structures de pouvoir et les intérêts économiques façonnent les politiques énergétiques. Cette période de transition a vu le pétrole devenir la source d’énergie dominante, sans pour autant signifier l’abandon du charbon, mais en transformant les modalités d’accumulation du capital au sein de l’économie mondiale​. La production et la distribution de pétrole, nécessitant peu de main-d’œuvre et facilitées par des infrastructures telles que les supertankers et les oléoducs, ont modifié la dynamique de pouvoir entre les travailleurs et les détenteurs de capital. Ce qui a favorisé l’adoption du pétrole.  Ces caractéristiques ont participé à l’émergence de modes de gouvernance technocratiques et ont éloigné la prise de décision des sphères du débat démocratique, tout en constituant l’un des piliers du compromis social fordiste des Trente Glorieuses, grâce à la mise à disposition en abondance d’une énergie bon marché​​.

Critique éco-marxiste

En s’appuyant sur des exemples historiques et des théories éco-marxistes, Cahen-Fourot montre que l’exploitation de la nature n’est pas indépendante de l’organisation socioéconomique dans laquelle elle se produit. Les crises écologiques, comme celles illustrées par l’histoire de l’île de Pâques ou par l’adoption des énergies fossiles, ne sont pas le résultat inévitable de la maîtrise du feu par l’homme, mais sont historiquement situées dans un mode de production particulier, le capitalisme, dont les rapports sociaux doivent être explicitement pris en compte​.

Cette perspective critique déconstruit l’idée que les crises écologiques sont simplement le fruit d’une évolution naturelle. Elle met en lumière la nécessité de reconnaître le capitalisme, avec ses rapports sociaux spécifiques, comme un facteur central dans la genèse et l’exacerbation de ces crises. En mettant l’accent sur les tensions au sein des rapports sociaux du capitalisme, cette analyse offre un cadre pour repenser notre approche des crises écologiques, non pas comme des fatalités naturelles, mais comme des problèmes intrinsèquement liés à notre système économique et social actuel. 

Sciences et économie : convergence des pensées et dialogues 

L’économie écologique se positionne à l’intersection critique des sciences naturelles et sociales, cherchant à comprendre et à adresser la crise écologique à travers une lentille particulière. Une des contributions majeures de la thèse de Cahen-Fourot est la mise en lumière de l’importance de lier l’économie écologique aux différentes écoles de pensée économique pour enrichir et complexifier l’analyse des crises écologiques.

Économie écologique et dialogues avec d’autres courants

L’économie écologique, en dialoguant avec l’éco-marxisme, le post-keynésianisme, et l’école de la régulation, peut tirer parti de leurs analyses respectives sur les dynamiques économiques et les rapports sociaux au sein du capitalisme. Ces échanges permettent de contextualiser la crise écologique au sein des structures économiques et sociales plus larges, offrant une perspective plus nuancée et systémique :

  • Éco-marxisme : L’accent sur la contradiction entre le capital et la nature fournit à l’économie écologique un cadre pour comprendre comment les modes de production capitalistes exacerbent la crise écologique par l’exploitation incessante des ressources naturelles.
  • Post-keynésianisme : L’importance accordée à l’incertitude, à l’instabilité financière, et aux politiques économiques offre à l’économie écologique des outils pour analyser comment les politiques macroéconomiques peuvent être restructurées pour soutenir la transition vers une économie plus soutenable.
  • École de la régulation : L’analyse des régimes d’accumulation et des modes de régulation fournit un cadre pour explorer les changements structurels nécessaires pour aligner le système économique avec les impératifs écologiques.

Intégration de la dimension historique et structurelle

La thèse souligne la nécessité pour l’économie écologique d’intégrer pleinement la dimension historique et structurelle du capitalisme et des rapports sociaux qui lui sont constitutifs. Cette intégration est cruciale pour dépasser une vision fragmentée de la crise écologique et pour reconnaître les interconnexions profondes entre les crises écologiques, économiques, et sociales.

Vers une approche systémique de la crise écologique

L’objectif est de créer un dialogue constructif entre ces différentes approches pour élaborer une réponse systémique à la crise écologique. En faisant discuter ces courants entre eux, l’économie écologique peut enrichir son analyse des crises écologiques en tenant compte des dynamiques économiques, des inégalités sociales, et de la dégradation environnementale comme des phénomènes interdépendants, nécessitant des solutions intégrées et multidimensionnelles.

En conclusion de cette section, il est essentiel de reconnaître que le défi posé par la crise écologique ne peut être abordé efficacement sans une compréhension approfondie des systèmes économiques et des rapports sociaux qui sous-tendent la société contemporaine. Cette démarche nous guide vers la section suivante, qui se concentre sur la seconde contradiction du capitalisme et la rupture métabolique, offrant ainsi un cadre théorique pour comprendre les impacts écologiques du capitalisme et soulignant l’importance d’adopter une approche intégrée pour résoudre la crise écologique actuelle.

Seconde contradiction du capitalisme et rupture métabolique

La thèse de Louison Cahen-Fourot explore en profondeur les concepts de la seconde contradiction du capitalisme et de la rupture métabolique, offrant un cadre essentiel pour comprendre les impacts écologiques du capitalisme. Ces concepts, bien que souvent présentés de manière distincte, sont en réalité complémentaires et cruciaux pour analyser la crise écologique actuelle dans le contexte du capitalisme.

La seconde contradiction du capitalisme

La seconde contradiction du capitalisme, une idée avancée par James O’Connor, repose sur le constat qu’au-delà de la contradiction primaire entre travail et capital identifiée par Marx, il existe une contradiction fondamentale entre la nature et le capital. Cette contradiction émerge de la détérioration des conditions environnementales nécessaires au processus de production et de reproduction du capital. Le capitalisme, en exploitant de manière intensive la nature pour transformer l’énergie et les matières premières, engendre leur dégradation, augmentant ainsi l’entropie et exacerbant les crises écologiques​​.

Rupture métabolique

La notion de rupture métabolique, développée par John Bellamy Foster à partir des travaux de Marx, décrit le déséquilibre croissant entre la société et la nature. Cette théorie met en évidence comment la captation des éléments nutritionnels produits par la nature et leur transport sur de longues distances sans retour adéquat sous forme de déchets organiques, engendre un appauvrissement des sols et une dégradation écologique. Un exemple flagrant de cette rupture métabolique peut être observé dans les pratiques agricoles modernes, où les nutriments, souvent envoyés à des centaines, voire des milliers, de kilomètres, ne sont pas retournés au sol sous forme de déchets organiques qui pourraient le nourrir en retour. Ainsi, le rythme de consommation des nutriments excède celui de la régénération des sols, illustrant l’impossibilité d’un équilibre métabolique soutenable  entre économie et environnement sous le capitalisme, en raison de la temporalité dictée par les impératifs de l’accumulation du capital.

Convergence des approches et dialogue avec d’autres écoles de pensée économique

Cahen-Fourot argumente que la convergence entre l’économie écologique, l’éco-marxisme, le post-keynésianisme, et l’école de la régulation est nécessaire pour aborder systématiquement la crise écologique. Ces courants offrent des perspectives variées mais complémentaires sur les dynamiques économiques et écologiques, permettant de formuler des réponses plus intégrées et holistiques. En particulier, l’éco-marxisme et l’analyse de la rupture métabolique fournissent une critique puissante de la manière dont les rapports sociaux capitalistes exacerbent les problèmes environnementaux, tandis que le post-keynésianisme et l’école de la régulation peuvent aider à conceptualiser des politiques monétaires et  économiques qui favorisent la soutenabilité écologique.

Vers une compréhension intégrée des crises écologiques

En reconnaissant et en intégrant les analyses de la seconde contradiction du capitalisme et de la rupture métabolique, Cahen-Fourot nous invite à repenser radicalement notre approche des crises écologiques. Ce n’est qu’en abordant ces crises comme des manifestations des contradictions fondamentales du capitalisme que nous pouvons espérer développer des stratégies efficaces pour les surmonter..

La compréhension approfondie de ces théories nous conduit vers la prochaine section, carbone et régime d’accumulation, où nous explorerons le lien intrinsèque entre les émissions de carbone et les régimes d’accumulation du capital. Cette analyse mettra en évidence la corrélation entre le PIB et les émissions de CO2 à travers différentes périodes historiques, offrant une perspective critique sur la relation entre le développement économique et son impact environnemental.

L’Interconnexion entre carbone et capitalisme

La dynamique entre les émissions de carbone et les régimes d’accumulation du capital est fondamentale pour décrypter les défis écologiques posés par le système capitaliste. La croissance économique et l’accumulation de capital, au cœur du capitalisme, se sont souvent accompagnées d’une hausse considérable des émissions de CO2, exacerbant ainsi le changement climatique. Cette section examine l’influence des différentes époques historiques du capitalisme, marquées par des régimes d’accumulation distincts, sur les émissions carbonées.

Le rôle des régimes d’accumulation

Les régimes d’accumulation décrivent la méthode par laquelle le capital est généré, accumulé et réinvesti dans l’économie, influençant directement les pratiques énergétiques et, par conséquent, les émissions de CO2. De la période industrielle, dominée par le charbon, à notre ère actuelle, marquée par le pétrole et le gaz naturel, chaque phase d’accumulation du capital a généré des niveaux distincts d’émissions de CO2.

Relation PIB-CO2

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Cahen-Fourot adopte une approche économétrique avancée pour explorer les changements structurels dans la corrélation entre le PIB et les émissions de CO2, mettant en lumière des ruptures notables entre les périodes fordiste et néolibérale. Durant le fordisme, caractérisé par une industrialisation massive et une consommation d’énergie principalement basée sur le charbon, la croissance économique était étroitement liée à une croissance des émissions de CO2. Toutefois, la transition vers le néolibéralisme, avec la délocalisation de la production industrielle et une focalisation accrue sur les secteurs des services et de la finance, a transformé cette dynamique, instaurant des asymétries dans l’impact de la croissance économique sur les émissions carbonées.

Cette mutation signale non seulement un changement dans la structure économique mais met aussi en exergue le rôle des politiques environnementales et des innovations technologiques dans la gestion des émissions de CO2. Néanmoins, Cahen-Fourot souligne la continuité des défis liés à la décarbonatation de l’économie sous le régime néolibéral, où la délocalisation des industries lourdes vers des pays à coûts de production plus bas a souvent occulté les émissions effectives des pays développés.

Implications pour les stratégies de décarbonation

Ces connaissances sont vitales pour élaborer des stratégies de décarbonation efficaces. Ils soulignent la nécessité d’approches intégrées qui combinent innovations technologiques, réformes politiques, et transformations des modèles économiques pour réduire les émissions de CO2. La compréhension des spécificités des différents régimes d’accumulation permet de cibler plus précisément les interventions nécessaires pour une transition vers une économie moins carbonée.

Vers une nouvelle ère : marché volontaire de la nature comme nouveau régime d’accumulation ?

En conclusion, cette analyse des liens entre carbone, capitalisme et régimes d’accumulation du capital nous conduit à la question suivante : les marchés volontaires de carbone représentent-ils un nouveau régime d’accumulation du capital ? La section suivante « marché volontaire de la nature : nouveau régime d’accumulation ? » envisagera comment ces mécanismes s’intègrent dans le capitalisme globalisé et financiarisé, offrant une perspective sur leur potentiel et leurs limites dans la lutte contre le changement climatique.

Introduction à la dynamique du marché volontaire de carbone

Les marchés volontaires de carbone émergent comme une réponse innovante aux défis climatiques dans le cadre du capitalisme contemporain. Ces mécanismes, en permettant aux acteurs économiques de compenser volontairement leurs émissions de CO2, introduisent une nouvelle dimension dans la gestion environnementale. Louison Cahen-Fourot, dans sa thèse, explore ces marchés sous l’angle des spécificités productives nationales et de la fiscalité, suggérant que ces facteurs jouent un rôle crucial dans la formulation des politiques climatiques des pays.

L’Influence des spécificités productives et de la fiscalité

La thèse met en lumière comment les préférences nationales en matière de politiques climatiques sont fortement influencées par la structure productive de l’économie de chaque pays et par sa position dans les chaînes globales d’émissions de gaz à effet de serre (GES)​​. Ces spécificités déterminent les intérêts économiques nationaux et façonnent le degré de volontarisme des pays dans l’adoption de mesures climatiques ambitieuses. Cahen-Fourot argumente que la posture de chaque pays vis-à-vis des Accords Internationaux sur l’Environnement (AIE) reflète ses intérêts économiques nationaux, ce qui est cohérent avec les théories des jeux et de l’économie politique internationale dans une perspective néoréaliste​.

Volontarisme carbone et capitalismes contemporains

La section dédiée aux « Volontarismes carbone et capitalismes contemporains » de la thèse révèle que les pays adoptent une politique climatique en fonction de leur base fiscale et de leur dépendance au secteur primaire. Par exemple, les pays qui dépendent fortement du secteur primaire montrent généralement un moindre volontarisme carbone, ce qui est attribué à leur préférence pour protéger leurs intérêts économiques nationaux​​. Cette analyse suggère que le volontarisme carbone suit les intérêts économiques nationaux, soulignant ainsi l’importance cruciale de la structure productive et de la fiscalité dans la détermination des politiques climatiques.

Conclusion : un nouveau régime d’accumulation ?

Les marchés volontaires de carbone, en s’inscrivant dans les dynamiques du capitalisme globalisé et financiarisé, représentent-ils alors un nouveau régime d’accumulation du capital ? La thèse de Cahen-Fourot invite à une réflexion critique sur cette question, en mettant en évidence les complexités liées à l’intégration des considérations climatiques dans les stratégies économiques des nations. Bien que ces marchés offrent une voie pour aligner les objectifs environnementaux avec les mécanismes du marché, leur efficacité et leur équité restent sujettes à débat, notamment en raison des spécificités productives et fiscales qui influencent les politiques climatiques à l’échelle nationale.

Cette exploration approfondie des marchés volontaires de carbone dans le contexte des capitalismes contemporains nous prépare à la conclusion de notre article, où nous résumerons les principaux enseignements tirés de l’analyse de Cahen-Fourot et soulignerons l’importance de repenser les stratégies de décarbonatation à la lumière des dynamiques économiques et politiques globales.

Conclusion : repenser les dynamiques écologiques et économiques dans un monde capitaliste

Notre exploration à travers l’article, basée sur la thèse de Louison Cahen-Fourot, démontre une nécessité critique de recontextualiser l’analyse écologique au sein des dynamiques structurelles et institutionnelles du capitalisme. Nous avons traversé un paysage complexe, depuis la seconde contradiction du capitalisme et la rupture métabolique jusqu’aux implications des régimes d’accumulation et l’émergence des marchés volontaires de carbone, pour comprendre en profondeur comment le capitalisme façonne et est façonné par la crise écologique.

Synthèse des Enseignements

L’analyse de Cahen-Fourot révèle que sans une compréhension approfondie des fondements du capitalisme et des rapports sociaux qui le caractérisent, les efforts pour adresser la crise écologique restent superficiels. Les régimes d’accumulation, illustrant la manière dont le capital est généré et réinvesti, impactent directement l’environnement, mettant en évidence l’importance d’intégrer des considérations écologiques dans la planification économique à tous les niveaux.

Les marchés volontaires de carbone, bien qu’ils représentent une tentative de réponse au changement climatique, ne doivent pas être vus comme une panacée. Cahen-Fourot nous pousse à questionner si ces mécanismes peuvent véritablement induire un changement structurel ou s’ils servent plutôt à perpétuer le statu quo sous un nouveau voile de durabilité.

Appel à une réflexion critique

Ce voyage à travers la thèse de Cahen-Fourot nous incite à une réflexion critique sur la manière dont nous comprenons et abordons la crise écologique. En rejetant la vision évolutive de l’Anthropocène, qui attribue les déséquilibres écologiques à une progression naturelle de l’humanité, Cahen-Fourot nous invite à considérer les crises écologiques comme des symptômes des contradictions inhérentes au capitalisme.

Vers une approche intégrée

Pour avancer, il est essentiel d’adopter une approche intégrée qui reconnaît les crises écologiques comme étant intrinsèquement liées aux structures économiques et sociales. Cela implique de repenser les modèles de développement, les notions de croissance, et les mécanismes de régulation économique pour qu’ils soient en harmonie avec les limites écologiques de notre planète.

Perspectives : vers une économie homéostatique et ses implications

La thèse de Louison Cahen-Fourot ouvre de nouvelles perspectives sur la manière dont l’économie homéostatique peut être interrogée à différents niveaux, notamment en ce qui concerne les rapports sociaux et l’influence des indicateurs écologiques sur les préférences nationales en matière de production et de politiques environnementales.

Évolution des rapports sociaux

L’introduction de nouvelles règles macroéconomiques réformées, centrées sur la distribution régulière d’une nouvelle forme de monnaie à tous les agents économiques et en fonction de la qualité environnementale, suggère une transformation potentielle des rapports sociaux entre les détenteurs de capitaux, les travailleurs et les gouvernements. Cette convergence d’intérêts autour d’indicateurs environnementaux pourrait inciter à une gestion plus responsable et intégrée de l’environnement, visant à maintenir ou améliorer la quantité de monnaie distribuée lors des périodes suivantes qui ,elle ,dépend de l’état environnemental.

Les projets écologiques, encouragés comme mécanisme d’investissement alternatif pour contrer l’érosion monétaire, proposent une remise en question du besoin de posséder du capital pour générer des plus-values. Cette approche démocratise l’investissement dans des initiatives écologiques, en réduisant fortement la barrière du capital initial nécessaire et en attirant des investisseurs grâce à des garanties de remboursement et des perspectives de gains, contrastant avec le risque souvent élevé dans l’économie capitaliste traditionnelle.

Impact des indicateurs écologiques sur les politiques publiques

Les politiques publiques en matière d’écologie, guidées par les indicateurs écologiques de l’économie homéostatique, tendraient vers une approche systémique, directement corrélée aux mesures de performance environnementale. Le mécanisme de comptabilisation des impacts écologiques liés aux exportations et importations pourrait limiter les préférences nationales dans l’application des politiques écologiques, favorisant ainsi une harmonisation et une efficacité accrues dans la réponse aux défis environnementaux.

Interrogations et champs de recherche futurs

Tout en ouvrant des avenues prometteuses, ces perspectives nous invitent à une réflexion approfondie sur le degré d’adaptation au capitalisme que l’économie homéostatique permet, et sur les enseignements et bénéfices à tirer de cette approche. Il reste cependant un vaste champ de recherche à explorer avant de pouvoir concrétiser ces idées et évaluer leur faisabilité et leur impact potentiel sur la restructuration des dynamiques économiques et écologiques actuelles.

Conclusion

En envisageant l’économie homéostatique à travers le prisme des travaux de Cahen-Fourot, cet article a cherché à établir un dialogue entre les théories économiques contemporaines et les impératifs écologiques urgents. Les perspectives offertes par cette analyse soulignent la nécessité d’innovations structurelles et systémiques dans notre approche de l’économie et de l’environnement, appelant à une remise en question fondamentale des modèles actuels. Alors que nous avançons dans ces terrains de recherche inexplorés, l’objectif reste clair : repenser et remodeler nos systèmes économiques pour qu’ils servent mieux notre planète et ses habitants, guidant ainsi notre chemin vers un avenir soutenable et équitable pour tous.

La thèse : La soutenabilité de l’accumulation du capital et de ses régimes : Une approche macroéconomique en termes de soutenabilité forte de Louison Cahen-Fourot

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