Introduction

L’exactitude et la cohérence des données sont essentielles en science pour assurer la fiabilité des comparaisons et des conclusions. Dans les études économiques et environnementales, l’utilisation d’agrégats de données, tels que le Produit Intérieur Brut (PIB), est courante.

Cependant, ces agrégats comportent des limites significatives dues à leurs variations et révisions au fil du temps. L’étude de Gregor Semieniuk de l’Université du Massachusetts Amherst, intitulée « Inconsistent Definitions of GDP: Implications for Estimates of Decoupling » (2022), met en lumière ces problématiques en examinant comment les révisions structurelles du PIB influencent les estimations du découplage économique et environnemental.

Importance des données invariantes

Pour comparer les performances économiques et environnementales à travers le temps, il est crucial d’avoir des mesures invariantes. Les variations dans la définition et la mesure du PIB introduisent une incertitude et rendent les comparaisons historiques problématiques. Semieniuk souligne que les révisions régulières du PIB, motivées par des changements dans les conventions comptables et l’ajout de nouvelles données, peuvent altérer rétrospectivement notre compréhension des tendances économiques et environnementales.

Accès à l’étude Gregor Semieniuk, University of Massachusetts Amhers, 2022

L’Étude de Semieniuk : l’impact des révisions du PIB sur les estimations de découplage

L’étude de Semieniuk se concentre sur l’impact des révisions du PIB sur les estimations de découplage, un concept décrivant la relation entre la croissance économique et l’utilisation des ressources ou la pollution. Semieniuk analyse les révisions structurelles du PIB aux États-Unis et dans des comparaisons internationales, montrant que ces révisions peuvent influencer considérablement les mesures d’intensité (ressources ou pollution par unité de PIB) et donc les conclusions sur le découplage.

Figure 1 | Évolution des taux de croissance entre les millésimes du PIB ou du PNB américain : (a) indices du PIB de 1986 (noir) et 2021 (bleu) basé sur les révisions structurelles de 1976 et 2018, et leur ratio en orange mesuré sur le côté droit axe. (b) Taux de croissance annuel moyen sur plusieurs décennies de révisions structurelles sélectionnées, données de l’année dernière avant l’année suivante révision. Sources décrites à la section 3 de l’étude.

Méthodologie

La méthodologie de Semieniuk consiste à comparer des séries temporelles de PIB (ou ‘vintages’) pour évaluer leur impact sur les estimations de découplage. Il examine comment les différentes versions du PIB modifient notre compréhension de la dynamique entre croissance économique et impacts environnementaux.

Semieniuk adopte une approche méthodologique rigoureuse pour examiner l’impact des révisions du PIB. Il effectue des comparaisons par paires de la même mesure économique ou environnementale en utilisant différentes séries du PIB. Cette analyse couvre les révisions structurelles du PIB aux États-Unis et les comparaisons internationales à l’aide de données de la Penn World Table et de l’Agence Internationale de l’Énergie.

Résultats clés

  1. Variabilité du découplage: Les résultats montrent que les conclusions sur le découplage peuvent varier de manière significative selon la version du PIB utilisée. Certains pays passent du découplage au recouplage (ou inversement) en fonction de la série temporelle du PIB utilisée.
  2. Influence sur les estimations de la courbe environnementale de Kuznets (EKC): L’étude réexamine les résultats classiques de Grossman et Krueger (1995) sur l’EKC en utilisant différentes séries de PIB. Les réestimations révèlent des changements significatifs dans les relations identifiées entre croissance économique et pollution.
  3. Intensité énergétique globale: L’analyse des données de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) montre que les révisions du PIB peuvent conduire à des estimations divergentes de l’intensité énergétique historique, avec des implications importantes pour les modèles climatiques futurs.

Figure 2 | Impact du millésime du PIB américain sur l’intensité énergétique. Intensité énergétique primaire comme dans Schurr (1984) mais en ajoutant le millésime 2021 du PIB américain. Sources décrites à la section 3 de l’étude.

Recommandations

Semieniuk conclut que les définitions incohérentes du PIB introduisent une ambiguïté substantielle dans les estimations de découplage et dans les projections futures. Il recommande une divulgation rigoureuse des définitions et des séries du PIB utilisées dans les analyses empiriques pour permettre des comparaisons et des réplications fiables. De plus, il suggère une approche plus ciblée sur les indicateurs absolus de performance environnementale plutôt que sur les mesures d’intensité relative qui dépendent du PIB.

Figure 3 | PIB PPA par habitant en 2000 selon les estimations successives des Penn World Tables : PIB PPA par habitant en 2000 pour quatre pays aux niveaux de prix en USD de 2005, tirés de 5 versions des Penn World Tables publiées sur la période 2002-2020. Sources décrites à la section 3 de l’étude.

Implications : prudence dans l’interprétation

Cette étude souligne l’importance de la prudence dans l’interprétation des tendances économiques et environnementales. Elle met en évidence la nécessité d’une transparence accrue dans la méthodologie économique et d’une réévaluation des méthodes d’analyse traditionnelles face à l’évolution des normes comptables.

Examen des courbes environnementales de Kuznets

L’étude reconsidère les résultats emblématiques de Grossman et Krueger (1995) sur la courbe environnementale de Kuznets (EKC), qui postule une relation en U inversé entre la pollution et le PIB par habitant. Semieniuk réévalue ces résultats en utilisant des séries temporelles de PIB mises à jour. Ses analyses montrent que les formes des courbes EKC et les conclusions qui en découlent sont sensiblement altérées en fonction de la série du PIB utilisée.

Variations dans les estimations de l’intensité énergétique

L’étude démontre également que les estimations de l’intensité énergétique mondiale, un indicateur clé pour évaluer le découplage énergétique, varient considérablement en fonction des révisions du PIB. Semieniuk analyse les données de l’AIE et trouve que les estimations récentes indiquent une baisse plus rapide de l’intensité énergétique par rapport aux séries plus anciennes. Cela a d’importantes implications pour la modélisation des scénarios climatiques et énergétiques futurs.

Figure 5 | Variation des taux de variation de l’intensité énergétique du continent en fonction du millésime du PIB : dans chaque graphique, l’axe des x rapporte le taux de changement de l’intensité énergétique moyenne sur 10 ans dans une ancienne version de PWT, l’axe y pour PWT 10.0, noté en haut à gauche de l’intrigue. Le corridor diagonal comprend les observations présentant une différence de moins de 2 points de pourcentage. taux de croissance annuel. Les observations vertes et violettes voient des passages rétrospectifs du découplage au recouplage et vice-versa versa.

Discussion approfondie

Semieniuk met en lumière la difficulté inhérente à l’utilisation de mesures économiques en constante évolution pour évaluer des problématiques environnementales à long terme. Il argumente que les variations dans les séries temporelles du PIB rendent difficiles la détermination de tendances claires en matière de découplage et soulèvent des questions sur la fiabilité des prévisions futures basées sur ces données.

Recommandations pratiques

L’étude recommande une transparence accrue dans la communication des définitions et des séries du PIB utilisées dans la recherche. Semieniuk suggère également que les modèles de scénarios futurs incluent des informations détaillées sur les séries temporelles utilisées, afin de permettre une analyse plus robuste et fiable.

Analyse critique des méthodes de révision du PIB

Les révisions du PIB sont souvent motivées par des changements dans les méthodologies comptables et l’intégration de nouvelles données. Ces révisions, bien qu’elles visent à fournir une image plus précise de l’économie, peuvent introduire des incertitudes substantielles. Par exemple, l’inclusion de secteurs tels que l’économie numérique ou les changements dans la valorisation des actifs peuvent significativement altérer les estimations du PIB. Ces révisions, tout en étant nécessaires, peuvent masquer des tendances économiques continues et influencer les conclusions des études qui s’appuient sur des séries temporelles historiques.

Implications politiques et économiques

Les révisions du PIB ont un impact profond sur les politiques économiques et environnementales. Dans les pays en développement, où la croissance économique est souvent une priorité, des révisions à la hausse du PIB pourraient donner une impression de progrès économique plus rapide qu’il ne l’est en réalité. Cela pourrait conduire à une sous-estimation des besoins en matière d’investissement et d’atténuation de la pauvreté. Inversement, dans les pays développés, des révisions à la baisse pourraient masquer des problèmes de soutenabilité et d’efficacité économique.

Perspectives futures et recommandations pour la recherche

Pour gérer les incertitudes liées aux révisions du PIB, les chercheurs doivent adopter des approches méthodologiques rigoureuses, en incluant une analyse de sensibilité aux différentes séries du PIB. Il est également important de considérer des mesures alternatives de la performance économique et environnementale, telles que le PIB vert ou les indicateurs de bien-être.

Réflexion sur les limites de la mesure du progrès économique

Le PIB, bien qu’étant un indicateur économique dominant, présente des limites notables dans la mesure du progrès réel des sociétés. Il ne prend pas en compte des facteurs tels que la distribution de la richesse, la santé environnementale ou le bien-être social. Des indicateurs alternatifs, tels que l’Indice de Développement Humain (IDH) ou l’Indice du Progrès Véritable (IPV), pourraient offrir une vision plus complète de la santé économique et sociale.

Examen des cas pratiques et études de cas

Des exemples concrets, comme l’impact des révisions du PIB sur les estimations de la pauvreté ou sur les objectifs de développement durable, illustrent comment ces changements peuvent avoir des conséquences directes sur les politiques et programmes. L’étude des cas spécifiques où les révisions du PIB ont modifié la perception de la performance économique peut aider à comprendre les implications pratiques de ces révisions.

Figure 8 | Grossman et Krueger ré-estiment avec différents millésimes PWT pour certains polluants.

« La figure 8 représente les courbes prédites résultantes pour deux de leurs 14 polluants : la fumée dans les villes, qui a une forme de U magnifiquement inversée dans leur papier et une concentration de mercure dans les rivières, dont la forme en U inversé est entachée d’une légère hausse des revenus très élevés mais pour laquelle la valeur nulle L’hypothèse d’une insignifiance statistique conjointe des six paramètres du PIB du modèle ne peut être vérifiée. Pourtant, Grossman et Krueger le tracent sans autre commentaire, ajoutant vraisemblablement au preuve du u inversé pour la plupart des observations. Superposition des estimations alternatives montre qu’il existe une variété de formes, ce qui brouille un message en forme de U inversé. Les estimations suggèrent que la fumée monte rapidement mais diminue très peu après le pic pour ensuite remonter encore. Pour le mercure, le « pic » se situe entre 0 et 15 000 dollars. Le PWT 10.0 rgdpe et Les estimations rgdpe ont ce que l’on peut appeler une forme en U non inversée. Les graphiques sont également dispersés verticalement. Cela est dû aux données de pollution très dispersées (il existe des observations supérieures à 200 microgrammes/m3 pour la concentration de fumée) et l’ajustement à 6 paramètres du polynôme qui est sensible aux petites variations des données. Comme le tableau 1 de l’Annexe C de l’étude le montre systématiquement pour les 14 polluants, tous les résultats ne sont pas également dispersés, mais suffisamment de changements qualitatifs sont à remettre en question. Est-ce que les chercheurs ayant des millésimes de PIB plus récents auraient été capables d’écrire avec la même conviction sur la détérioration initiale puis, l’amélioration de la qualité de l’environnement ? »

Rappel sur le découplage

Le concept de découplage, originaire des discussions environnementales, désigne la dissociation entre la croissance économique (mesurée en PIB) et l’impact environnemental, comme la consommation des ressources ou les émissions de gaz à effet de serre. Intégré dans les politiques publiques via des institutions internationales telles que l’OCDE et l’ONU, le découplage est souvent présenté comme une stratégie permettant de maintenir la croissance économique tout en limitant les dommages environnementaux. Cette approche s’aligne avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique, mais elle rencontre des critiques quant à son efficacité et sa pertinence face à des défis environnementaux plus larges, notamment les limites planétaires et la gestion des ressources.

Le découplage: un prisme de lecture partiel

Bien que le découplage offre un cadre pour aborder les enjeux climatiques et environnementaux dans le contexte de la croissance économique, il est souvent considéré comme un prisme de lecture partiel. Il se concentre principalement sur la réduction des émissions de CO2, mais peut négliger d’autres aspects environnementaux critiques tels que la perte de biodiversité, la dégradation des sols, et l’épuisement des ressources naturelles. Ce prisme, bien qu’utile, peut donc limiter notre compréhension et notre réponse aux défis environnementaux globaux.

La croissance économique basée sur le PIB: une chimère?

La question se pose de savoir si la croissance économique, telle que mesurée par le PIB, est une chimère dans le contexte des défis environnementaux actuels. Le PIB, en tant qu’indicateur de la performance économique, ne tient pas compte de nombreux facteurs tels que la qualité de l’environnement, la santé sociale, et la soutenabilité. La poursuite de la croissance du PIB comme objectif principal peut conduire à une sous-estimation des coûts environnementaux et sociaux, remettant en question la soutenabilité de ce modèle de croissance.

Les limites de l’ordre social et économique actuel

L’étude de Semieniuk suggère que les concepts tels que le découplage, bien que visant à justifier la continuité de l’ordre social et économique, peuvent perpétuer certaines illusions. En se concentrant uniquement sur la croissance du PIB et en négligeant d’autres indicateurs clés, nous risquons de négliger des aspects essentiels du bien-être humain et de la santé de la planète. La dépendance excessive à des indicateurs économiques traditionnels peut masquer la nécessité d’un changement plus profond dans notre approche de la croissance et du développement.

Conclusion

Cette étude de Semieniuk met en évidence la nécessité d’une approche critique et rigoureuse dans l’utilisation des données économiques pour l’analyse environnementale et économique. Elle souligne l’importance de la précision et de la transparence dans la recherche économique et appelle à une réflexion sur l’utilisation des indicateurs économiques dans l’évaluation du progrès. La prise en compte de ces enjeux est cruciale pour orienter efficacement les politiques économiques et environnementales vers un avenir soutenable. Elle conclut que les définitions incohérentes du PIB ont des implications profondes pour les estimations de découplage

L’analyse de Semieniuk met en lumière l’importance de repenser la manière dont nous mesurons et interprétons la croissance économique. Il est impératif de reconnaître les limites du PIB comme indicateur du progrès et de chercher des alternatives plus holistiques qui prennent en compte la soutenabilité environnementale et le bien-être social. La poursuite de la croissance économique à tout prix pourrait s’avérer être une voie non soutenable, soulignant la nécessité d’une réflexion critique sur notre système économique actuel et sur les méthodes que nous utilisons pour évaluer le succès et le progrès.

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