À une époque d’inflation et de récession, dans une société où l’argent est le nerf de la guerre, avouons qu’envisager que la monnaie puisse fondre n’est pas attractif au premier abord.
Nos esprits financiarisés, baignés dans une course à l’argent, n’ont pas envie d’une monnaie aux intérêts négatifs.
Pourtant le constat est sans appel : quelque chose coince dans le rouage monétaire et nous amène dans une impasse économique, sociale et écologique. Comme l’expliquait cet article, nous avons résolument besoin d’un assainissement monétaire, les grandes bifurcations sociétales étant en général des bifurcations monétaires.
En prenant un peu de hauteur et en allant au-delà de nos peurs de manquer, il se pourrait que nos symptômes actuels économiques et psychologiques témoignent d’un rapport malsain et toxique avec l’objet monétaire et que ces craintes vis à vis d’une monnaie qui s’érode soient en fait que des préjugés, des raccourcis cognitifs qui nous rendent incapables d’imaginer toute la portée et les répercussions que ce type de monnaie pourrait nous apporter.
Lorsque l’on constate les expérimentations réussies du passé, l’essor de l’intérêt pour ce sujet,, ainsi que les propos de Keynes qui qualifiait Silvio Gesell, l’inventeur de la monnaie fondante, de « prophète étrange »1, dont le concept comporte des éclairs de perspicacité, cela mérite définitivement de faire fi de nos réticences initiales et de s’attarder sur ce mécanisme.
C’est l’objet de cet article : analysons en détail le potentiel et les impacts que pourraient avoir la monnaie fondante.
I/ Une monnaie en phase avec l’ordre naturel des choses qui incite à la circulation
«De l’argent qui vieillit comme un journal, qui se gâte comme les pommes de terre, qui rouille comme le fer, qui s’évapore comme l’éther, un tel argent peut seul convenir comme moyen d’échange. » – Silvio Gesell, l’ordre économique naturel, 1911.
À l’instar des fèves de cacao utilisées par les Mayas2 ou du sel dans les tribus baruyas en Papouasie3, Silvio Gesell (1862-1930), en observant les nombreuses turbulences économiques de son époque, préconisait le retour à des monnaies qui se dégradent dans le temps pour :
– d’une part remettre sur un pied d’égalité les acheteurs et les vendeurs. La nature des monnaies métalliques favorise les acheteurs, car ils peuvent, s’ils le souhaitent, stocker leur monnaie sans avoir de répercussions négatives, alors que les vendeurs veulent au contraire écouler leurs produits rapidement avant leur dégradation, ce qui crée de facto une asymétrie et un désavantage pour les vendeurs. L’avantage intrinsèque de la monnaie, sa supériorité, son taux d’intérêt originel nommé tribut4 (c’est à dire son absence d’évanescence ou d’entropie) doit lui être ôté pour abaisser l’argent au même rang que les marchandises.
« Si l’on veut que l’argent cesse de faire peser son joug sur les marchandises, il faudra que, comme elles, il rouille, moisisse, se gâte, se corrode5 ». Si détenir de l’argent devient aussi coûteux que stocker des biens, alors l’équilibre entre offre et demande se rétablit. Gesell voulait ainsi que la valeur nominale de la monnaie s’érode (à un rythme annuellement prévisible afin d’éviter des asymétries d’informations) dans un souci -premièrement – d’égalité. Dès lors, « monnaie et marchandise seront des équivalents parfaits.6 »
– privilégier la fonction « échange » de la monnaie car cette fonction, à l’image du sang ou de l’eau, est vitale pour assurer les flux et la bonne santé de nos sociétés humaines complexes. Or, une monnaie inaltérable favorise les acheteurs, incite au stockage et à l’accumulation en dehors du circuit économique. Ce comportement qui privilégie la fonction réserve de valeur, nommé thésaurisation et qualifié par Keynes de stockage de « monnaie morte », risque, s’il se généralise, de geler ou de faire coaguler le circuit économique.
Grâce au tribut de la monnaie, l’acheteur dispose d’un temps dont le vendeur ne dispose pas et possède le privilège dangereux de pouvoir interrompre l’activité économique en s’abstenant de tout acte économique.
Via la fonte, Gesell voulait créer un dispositif d’antithésaurisation qui incite les acteurs à « faire circuler » la monnaie, évitant ainsi le risque de « froid économique » (comme le phénomène de trappe à liquidité.)
Ainsi, à l’instar des frais de surestarie (ou de démurrage) dans un terminal portuaire, qui sont les coûts facturés en cas de retard pour le chargement ou déchargement d’un navire, la monnaie fondante, également appelée monnaie à démurrage ou monnaie à surestarie, se définit comme la « somme que l’utilisateur d’une monnaie doit payer en fonction de la durée pendant laquelle la monnaie est conservée », permettant ainsi de maintenir la circulation monétaire fluide.
L’expérience la plus connue de monnaie fondante à Worgl en Autriche en 1933 a démontré la puissance de ce mécanisme d’incitation avec une vélocité de la monnaie 12 à 14 fois supérieure7 à la monnaie nationale permettant à la ville de sortir – de manière spectaculaire- d’une situation économique tout à fait déplorable suite à la crise de 1929.
Ainsi Gesell voulait que les acheteurs aient les mêmes contraintes que les vendeurs et s’assurer que la monnaie circule, un préalable pour un bon métabolisme économique.
Mais sa réflexion sur la monnaie, comme nous le verrons, était bien plus profonde et holistique, touchant même à des dimensions métaphysiques. Partant du constat que dans la vie « tout est soumis au cycle du devenir et disparaître », la monnaie ne peut plus faire exception car le temps est indomptable.
La monnaie doit donc s’adosser au temps, « fondre avec le futur»8.
Et c’est peut-être cela, l’ordre économique naturel – titre de son livre : une monnaie qui, en plus de rétablir l’égalité des armes dans la lutte économique, subit, comme le reste, l’entropie.
II/ L’antidote à la cupidité pour sortir de la monnaie du chaos
L’argent ne peut, par nature, faire des petits : « Quoi de plus odieux, surtout, que le trafic de l’argent, qui consiste à donner pour avoir plus, et par là détourne la monnaie de sa destination primitive ? » – Aristote Éthique à Nicomaque (livre V, chapitre 5).
Une fonction réserve de valeur trop développée ouvre la voie à des problèmes et des excès.
C’est déjà le cas, comme nous l’avons vu, si le tribut de la monnaie n’est pas supprimé.
Malheureusement, l’introduction des taux d’intérêts n’a fait qu’hypertrophier cette fonction, catalysant « les comportements chrématistiques » pour nourrir une cupidité dévorante. Des philosophes comme Aristote ou Thomas d’Aquin nous avaient pourtant avertis que l’argent, étant par nature stérile (car il ne crée pas de valeur en soi), faire produire de l’argent à l’argent est un non-sens et une perversion de l’objet monétaire.
Gesell souhaitait ainsi supprimer l’intérêt et ne voulait pas recourir au levier de l’inflation (bien que pénalisant également la thésaurisation) préférant la fonte car les conséquences sociétales ne sont absolument pas les mêmes !
Il considérait l’intérêt comme quelque chose d’antisocial, qui dépasse très souvent le risque pris et l’anticipation de l’inflation, s’apparentant à de l’usure : un intérêt toxique, un vol du temps qui accentue les inégalités en permettant la rente oisive.
Gesell voulait abolir ce privilège et décourager le capitalisme rentier.
La fonte est l’antidote à l’usure, « l’euthanasie des rentiers9 » qui permet de juguler la fécondité exponentielle des intérêts, de sortir du piège systémique de la victoire aux victorieux10 (Donella Meadows) en renversant le célèbre principe “ les riches deviennent de plus en plus riches”.
En réalité, la proposition de Gesell que l’on pourrait qualifier de monnaie biodégradable est « l’opposée de la monnaie-dette qui repose sur les intérêts »11 (Anice Lajnef). En passant de la monnaie dette à la fonte, c’est même un changement mathématique qui s’opère : la croissance exponentielle de la dette avec intérêts semble être remplacée par une fonction logarithmique, beaucoup plus proche de la croissance naturelle du vivant.
Cette transition potentielle fait écho à la pensée de Nicholas Georgescu-Roegen, qui affirme que « la biologie nous révèle la vraie nature du processus économique »12.
Les répercussions de cette modification concernant la monnaie seraient considérables :
– Anthropologiquement, avec de l’argent qui est un outil, non un produit, l’homme se guérit de cette maladie qui pousse à l’accumulation infinie pour espérer une puissance infinie, et pourquoi pas, une vie éternelle. Tout comme personne ne veut ni vieillir, ni mourir, personne ne veut une monnaie qui fond mais ça serait quelque part refuser la condition humaine13 (Éric Schmidt). La monnaie fondante aide l’homme à accepter sa finitude. Il faut que cesse cette illusion d’hyperpuissance. Que l’humanité se redécouvre mortelle.
– Politiquement, ce mécanisme qui empêche les colossales concentrations de richesse diminue drastiquement le risque d’oligarchie ou de ploutocratie. Le pouvoir économique est moins en capacité de dérober les autres pouvoirs (politique, médiatique, législatif, judiciaire). Au lieu que l’argent pourrisse la société de l’intérieur, érode le capital social, détricote le « Nous », les monnaies à démurrage “engendrent un meilleur sens de la communauté”14.
– Économiquement, avec une fonte qui ressemble à des taux d’intérêt négatifs : on ne fait plus subir l’inflation aux prix des biens et services mais à la monnaie. « Gesell était convaincu que sa théorie stabiliserait les prix par le retrait de billet en cas d’inflation et par leur émission en cas de déflation » (Bruno Colmant).
– Écologiquement, bien que la monnaie fondante Geselienne nécessite, comme nous le verrons, des ajustements pour devenir écologique, la suppression des intérêts aide à ralentir le rythme du métabolisme civilisationnel. En effet, dans un système fondé sur les intérêts, le monde doit produire toujours plus pour trouver l’argent supplémentaire pour payer les intérêts.
Le coût des intérêts nécessite une surcharge de travail, exacerbe la concurrence et alimente un productivisme frénétique, souvent superflu, entraînant un gaspillage flagrant de ressources. Nous ne vivons plus au rythme naturel de nos besoins, mais à la cadence infernale imposée par l’usure. La courbe exponentielle de la dette avec intérêts est probablement une des courbes mères de toutes les exponentielles de la grande accélération.
À l’image de la prolifération incontrôlée des cellules cancéreuses, tout système dominé par une rétroaction positive comme celle-ci, est destructeur.
Pour éviter l’effondrement chaotique, « nous devons réintroduire la rétroaction négative à l’entreprise humaine en dérive » (Rees) .
La monnaie fondante est probablement l’une des rétroactions négatives les plus souhaitables pour l’humanité pour stabiliser les systèmes socio-économiques.
Gesell était convaincu que les monnaies fondantes sont des « vecteurs de paix tandis que l’organisation capitaliste est vecteur de guerre.15»
III/ L’outil idéal pour demain à ajuster ?
«Dis moi comment est créée la monnaie dans ta société et je te dirai dans quelle société tu vis» – Couppey-Soubeyran et al., Le pouvoir de la monnaie, 2024
Chaque monnaie, au vu de ses implications profondes, mérite une étude détaillée.
La monnaie Gesellienne semble puiser sa source dans la sagesse, tirer les leçons de notre époque mais nécessite un examen plus précis pour voir si elle est pleinement souhaitable ou si elle nécessite quelques ajustements.
Dans cette perspective et compte tenu de la diversité des configurations monétaires possibles, nous élargirons désormais notre propos. Nous emploierons le terme « monnaie fondante » dans un sens élargi, incluant toute forme de mécanisme introduisant une forme d’entropie monétaire : qu’il s’agisse d’une dépréciation de la valeur, d’un prélèvement régulier (micro-taxe, frais de détention), ou d’une destruction effective d’unités monétaires (réduction comptable de la masse monétaire). Ces dispositifs, bien que différents dans leur nature technique, partagent un même objectif : désinciter la thésaurisation, encourager la circulation et rétablir un métabolisme économique plus sain.
[Impact sociologique]
Même si le taux de fonte est très faible, les riches seraient dans l’absolu plus pénalisés.
Nous reviendrions au rôle oublié des ultra riches… aux époques où l’accumulation excessive de richesse était mal perçue, car elle pouvait déstabiliser la société. Les ultra-riches n’étaient acceptés qu’à condition de contribuer réellement au bien commun, en finançant des causes sociales essentielles ou en s’acquittant de taxes significatives chaque fois que nécessaire.
On change alors de paradigme avec la fonte : être riche n’est plus un privilège (qui permet d’auto-engendrer de l’argent de plus en plus facilement) mais redevient une responsabilité (la monnaie fondue, si elle n’est pas détruite, peut non seulement couvrir les frais bancaires, mais aussi financer des causes utiles).
Même pour un riche, cela pourrait être bénéfique comme le montre le paradoxe d’Easterlin : au-delà d’un certain seuil, l’augmentation des revenus ne conduit pas nécessairement à plus de bonheur.
Remarquez comme la courbe de la fonte monétaire semble se superposer à la courbe du paradoxe d’Easterlin.
Autrement dit, chacun peut accroître son bonheur grâce à la richesse, mais finit par être limité et orienté vers de nouvelles quêtes susceptibles de lui offrir plus de bonheur que l’accumulation d’argent sans fin.
C’est comme si nous supprimions la « part maudite » de Georges Bataille16: le plus que nécessaire doit être détruit au service d’autres fins sinon cette part se venge et nous revient en boomerang par des guerres, des dilapidations luxueuses ou le réchauffement climatique.
Ainsi, la fonte pourrait entraîner la disparition des milliardaires. Cette « classe de loisir » (Veblen), par ce qu’elle véhicule aujourd’hui, a un impact nocif sur l’environnement et la psyché humaine. Cristallisant l’envie ou la rancoeur de ses contemporains, nous montrant ce qu’est le succès, elle génère un désir d’imitation de notre modèle polluant consumériste et de la frustration tellement celui-ci est hors de portée du commun des mortels.
Une monnaie fondante réduirait l’influence de cette classe, ce qui serait bénéfique tant sur le plan social qu’écologique.
L’idée d’une limite à la richesse individuelle, défendue par des philosophes comme Platon, Aristote et Spinoza, des économistes comme Adam Smith et Karl Marx, ainsi que par des auteurs contemporains tels que Robeyns dans Having Too Much, n’est pas nouvelle. La fonte monétaire apparaît ainsi comme un moyen efficace de mettre en place ce limitarisme, et cela sans avoir à juger arbitrairement quel niveau de richesse est excessif !
[Un autre rapport au temps]
Alors que la monnaie conventionnelle met l’accent sur la performance économique à court terme en actualisant les valeurs futures, la fonte monétaire incite à adopter une perspective à long terme. Avec des taux d’intérêt négatifs, cela encouragerait la société et les entreprises à rationnellement investir dans les opportunités à long terme. Il suffit de regarder les périodes historiques où ce type de monnaie était en place pour s’en persuader :
- En Egypte antique, le grain standard dévalué chaque année a permis d’investir dans l’aménagement du territoire et des systèmes d’irrigation garantissant la prospérité pendant 2000 ans. « Et tout s’est arrêté rapidement dès que les romains remplacèrent le grain standard égyptien par leur propre monnaie avec des taux d’intérêt positif »17.
- Du Xe au XIIIe siècle en Europe, de nombreuses cathédrales ont été édifiées.
Ce qui n’est pas financé actuellement, faute de rentabilité à court terme malgré une utilité à long terme incontestable (régénération écologique, financement de bien collectifs durables) pourraient voir le jour.
[Confiance et perception]
Malgré les vertus décrites, il est tout à fait normal que nos esprits restent réticents.
La monnaie fondante peut paraître moins sexy qu’une cryptomonnaie ou moins rassurante que l’euro ou le dollar.
Pourtant notre monnaie actuelle pourrait être qualifiée de fondante : notre épargne, nos billets fondent en pouvoir d’achat même si la valeur nominale de la monnaie reste stable. 1€ de 2002 équivaut à 0,65€ de 2025 en termes de pouvoir d’achat. Et nous avons l’impression de gagner de l’argent avec le livret A, bien qu’il ne couvre pas l’inflation.
Un bel exemple de biais cognitifs et de notre vision plus émotionnelle que rationnelle de l’argent.
Néanmoins, cette notion de confiance en la monnaie est primordiale. Mais pas insurmontable pour la monnaie fondante. L’expérimentation de Wörgl18 l’a prouvé : il a fallu un peu de temps pour que la population surmonte sa méfiance envers le schilling, mais une fois accepté, son utilisation a transformé les représentations. La confiance autour de la monnaie fondante s’était cristallisée.
De plus, afin de réduire la méfiance, il n’est pas nécessaire que la monnaie fonde de manière uniforme et systématique dans l’ensemble du circuit économique. Par exemple, dans notre théorie de l’économie homéostatique, vous êtes exemptés (partiellement ou totalement) de fonte si vous investissez dans la régénération écologique.
[Fonte et consommation]
La monnaie Gesellienne ne répond pas complètement à des problématiques plus contemporaines qu’il ne pouvait imaginer. En effet, le fait qu’elle stimule la circulation (augmentant dès lors le nombre de transactions) entre en contradiction avec la nécessité actuelle de ralentir la consommation pour respecter les limites planétaires. Il faudrait donc la remettre au goût du jour.
Ajouter une rétroaction pour limiter la consommation.
C’est pour cela que dans l’économie homéostatique mais également dans la proposition de monnaie volontaire19, une fonte sur l’épargne (qui limite la thésaurisation) est complétée par une fonte sur les transactions (micro-taxe sur tous les paiements ou flux financiers pour freiner la consommation et la spéculation). Des régulations internes complémentaires pour contenir nos vices et notre développement dans les limites que l’environnement peut soutenir.
Le but étant de donner le bon rythme (et la bonne direction) à la monnaie.
Pas de gel ni de feu économique.
Mais « une circulation dynamique dans les circuits de production et de l’échange marchand, sans spéculation [ni consommation] ni thésaurisation excessive » (Le pouvoir de la monnaie, 2024).
Point de vigilance : La fonte monétaire peut prendre plusieurs formes et reflète toujours une intention sociétale qu’il convient de repérer. – Historiquement, le débasement monétaire (interdiction d’anciennes pièces) profitait aux seigneurs et servait d’impôt déguisé. – Aujourd’hui, des monnaies virtuelles fondantes (comme les CBDC testées en Thaïlande) visent à relancer la consommation. Leur usage peut être justifié, mais soulève des risques de dérives, notamment en matière de contrôle social (ex : crédit social chinois). – On peut imaginer également des taux de fonte variables selon le produit acheté ou la localisation, pour encourager certains comportements (ex : circuits courts). |
[Échanges internationaux]
La principale limite de la monnaie fondante est qu’elle ne fonctionne a priori que dans une économie fermée : la stabilité de tout échange international semble difficile à mettre en place et il y a un risque évident de fuite des capitaux vers des devises étrangères non fondantes ou métaux précieux. C’est un problème de théorie des jeux commun à tous ceux qui instaurent une limitation volontaire de puissance (ex: le Japon des Tokugawa). En choisissant par sagesse de contenir votre développement (normes environnementales, limite à l’accumulation de richesse ou à la course à l’armement…), vous prenez cependant le risque de devenir vulnérable face à la concurrence si vous évoluez dans une économie ouverte où les autres ne se restreignent pas. Comme d’autres sujets sociétaux brûlants (climat, IA), il faudrait donc une sagesse de la limite qui transcende les frontières et donc une coordination internationale (ou interétatique) autour de la monnaie fondante pour qu’elle puisse déployer son plein potentiel.
Conclusion
L’humanité approche de la fin de partie du Monopoly.
Et réalise graduellement que ce jeu, malgré ses atouts, n’est absolument pas conçu pour être durable.
Pire encore, elle se retrouve surprise par les impacts systémiques du caractère exponentiel de sa monnaie.
Ce jeu a pris des proportions tellement démesurées que c’est l’humanité qui est menacée.
Ses symptômes chaotiques appellent à un nouveau paradigme si nous voulons pas devenir tous perdants.
La monnaie fondante présente des qualités indéniables pour être la révolution monétaire de cette bifurcation : alignée avec l’ordre de la nature, remise à sa juste place, libérée du poison des intérêts, elle limite nos excès et favorise une dynamique collective de long terme.
Les nombreux bénéfices qu’elle génère, tant sur le plan individuel que collectif, semblent capables de nous orienter vers une nouvelle trajectoire bien plus souhaitable et en adéquation avec nos enjeux contemporains.
En revisitant la monnaie fondante de Gesell pour encourager les investissements régénératifs (plutôt que la consommation), la finance serait mise au service d’économies durables, plutôt que d’être axée sur une croissance continue.
« La recherche du gain serait remplacée par une recherche visant à conserver la valeur »21 (Kate Raworth).
Même ceux qui semblent « gagner » dans le système actuel pourraient paradoxalement préférer ce nouveau jeu.
Le défi réside dans l’ajustement de fontes adaptées et souples qui épousent le projet sociétal d’un monde en mutation.
À l’ère technologique où nous sommes, nous pouvons programmer la monnaie de telle sorte.
Mais tant que l’humanité ne comprendra pas que sa situation actuelle l’oblige à passer à un jeu d’équipe, cette idée restera vraisemblablement une utopie.
Références
1,9 – KEYNES, John Maynard. La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. 1936. 450p
2 – https://sciencepost.fr/les-mayas-utilisaient-le-cacao-en-guise-de-monnaie/
3 – La « monnaie de sel » des Baruya de Nouvelle-Guinée: https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1969_num_9_2_367046
4,8, 17 – COLMANT, Bruno. La monnaie fondante : La plus stupéfiante des révolutions financières. La renaissance du livre édition, 2022. 144p.
5,6 – GESELL, Sylvio. L’ordre économique naturel. 1911. 656p.
7,14 -LIETAER, Bernard & DUNNE, Jacqui. Réinventons la monnaie. Ed Yves Michel, 2016. 297p.
10 – MEADOWS, DONELLA. Pour une pensée systémique. Rue de l’échéquier, 2023. 288p.
11 – LAJNEF, Anice : La monnaie comme l’humain doit se consumer https://blogs.mediapart.fr/anice-lajnef/blog/211020/la-monnaie-comme-lhumain-doit-se-consumer
12 – GEORGESCU-ROEGEN, Nicholas. Pour une révolution bioéconomique. ENS Editions, 2013. 136p.
13 – SCHMITT, ERIC-EMMANUEL. L’avarice est un refus de la conditions humaine. Le Figaro.2011.https://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2011/07/16/01006-20110716ARTFIG00468-eric-emmanuel-schmitt-l-avarice-est-un-refus-de-la-condition-humaine.php#:~:text=Le%20Figaro%20Magazine-,Eric%2DEmmanuel%20Schmitt%20%22%20L’avarice%20est%20un,refus%20de%20la%20condition%20humaine%22&text=Pour%20le%20romancier%20et%20dramaturge,%2C%20S%C3%A9n%C3%A8que%2C%20Pascal%20et%20Nietzsche.
15 – BLANC, Jérome. Sylvio Gesell, socialiste proudhonien et réformateur monétaire : https://shs.hal.science/halshs-00168528/document
16 – BATAILLE, Georges. La part maudite, Essai d’économie générale. Éditions de minuit, 1949. 231p.
18 – Egger, Urs (Réalisateur). 2018. La monnaie miraculeuse [Film] https://www.youtube.com/watch?v=Zy56N2kE7lc
19 – COUPPEY-SOUBEYRAN, Jézabel, DELANDRE, Pierre & SERSIRON, Augustin. Le pouvoir de la monnaie. Ed Les liens qui libèrent, 2024. 320p.
20 – Systems Innovation. Paris Hub: https://siparishub.medium.com/le-syst%C3%A8me-%C3%A9conomique-est-un-orme-5a09c1d54512
21 – RAWORTH, Kate. La théorie du Donut. Ed Plon. 2018
– KENNEDY, Margrit. Le poison des intérêts. Ed Yves Michel, 2013.102p.
– SPODEN, Joseph. silvio gesell und gesell dich dazu. 2022. 180p.
– VON MURALT, Alex. The Wörgl Experiment with depreciating money. 1934
– https://www.financite.be/sites/default/files/references/files/2412.pdf